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Séminaire sur le renseignement et le processus décisionnel

2 février 2024

Les 19 et 20 septembre 2023, le Collège du Renseignement en Europe et le Centro Nacional de Inteligencia (CNI) espagnol ont organisé un séminaire sur le renseignement et le processus décisionnel, qui s’est déroulé à la Fondation José Ortega y Gasset-Gregorio Marañón (FOM) de Madrid.

Ce séminaire a été inauguré par la Secrétaire d’Etat et Directrice du CNI, Mme Esperanza CASTELEIRO, avec la participation du Secrétaire d’Etat du CNI, M. Arturo RELANZÓN, et de différents services de renseignement européens, de managers des secteurs public et privé, de chefs de service, d’autorités issues des institutions européennes de sécurité, ainsi que d’universitaires de différentes nationalités.

La participation d’universitaires de renom et d'entreprises privées a apporté une grande pluralité des points de vue et enrichi le dialogue, permettant ainsi d'obtenir une vision beaucoup plus large et pertinente des besoins des consommateurs de renseignement. La présence de certains des plus importants clients du renseignement européen a en outre permis de recueillir leurs retours d’expérience et leurs points de vue qui différaient, dans de nombreux cas, des points de vue nationaux. A noter également la présence active et dynamique des directeurs de SATCEN et de l'INTCEN, qui ont aidé les participants à mieux comprendre les relations entre les décideurs nationaux et européens d'un côté, et le degré de soutien en matière de renseignement apporté aux institutions européennes de l’autre.

Les participants sélectionnés étaient des managers issus à la fois de la communauté européenne du renseignement, de la sécurité, et de la société civile européenne, qu'il s'agisse d'universitaires travaillant dans le domaine des affaires européennes, de la défense, du renseignement et de la sécurité, ou de fonctionnaires de l'UE.

Au cours du séminaire, les questions portant sur la prospective et la stratégie ont été analysées sous différents angles, avec un accent particulier sur les aspects technologiques (y compris l'impact de l'IA) et psychologiques. Dans un second temps, la valeur ajoutée que représente le renseignement dans la prise de décision a été discutée, en insistant sur les défis liés à la multiplication des sources d'information qui génère bien souvent plus de confusion que de clarté.

Ensuite, la question de la relation entre producteurs et consommateurs de renseignement a été abordée en profondeur. La plupart des interventions, tant au cours des tables rondes que venant des participants eux-mêmes, ont insisté sur la nécessité de créer un sentiment de confiance et de fiabilité, et sur l'importance d'un bon feedback entre consommateurs et producteurs. Il encourage à favoriser un dialogue plus ouvert et plus dynamique entre les deux parties et à renforcer la culture du renseignement et de la sécurité, notamment au sein des institutions européennes.

Ce séminaire s'inscrit dans la lignée d'événements et de séminaires approfondissant la question de savoir comment fournir un meilleur service aux décideurs. En ce sens, il pourrait être considéré comme complétant le séminaire conjoint de l’Institut Egmont et de la communauté belge du renseignement sur « Comment mettre en œuvre les questions stratégiques dans le travail de renseignement » qui s’est déroulé en mai/juin 2023.

Nouvelles lignes d’effort

En inaugurant ce séminaire de haut niveau, la Secrétaire d'État espagnole a insisté sur la nécessité d'aller plus loin dans les relations entre le renseignement et les décideurs européens, avant de détailler le rôle que pourrait jouer le Collège dans le renforcement de l’indispensable culture de renseignement et de sécurité commune. Mme Esperanza CASTELEIRO a ensuite conclu en présentant les nouveaux axes de développement de la prochaine présidence espagnole du Collège.

Elle a notamment déclaré : « le Collège nous permet de montrer au niveau européen la collaboration efficace entre les Services, en s’appuyant sur la collaboration avec les universitaires et les chercheurs. En ce sens, je pense qu'il est très important d'informer les citoyens de l'Union européenne sur la valeur ajoutée apportée par les services de renseignement quant à leur liberté et à leur bien-être.

Le Collège se veut également un instrument permettant de mieux faire connaître les services de renseignement auprès de la jeune génération, qui sera responsable de l’avenir de l’Europe. Il est donc crucial qu’elle reconnaisse le renseignement comme l’un des principaux garants de la sécurité et des valeurs européennes.

Il sera également essentiel de mettre en avant le rôle des femmes dans le renseignement.

L'Espagne (…) a soutenu le Collège depuis ses débuts et a participé activement à toutes ses initiatives.

Au cours de l’année 2024, l’Espagne assumera la présidence du Collège du Renseignement en Europe. Nous tenterons de donner la priorité au dialogue entre la communauté européenne du renseignement et les autorités décisionnelles, en mettant en lumière la collaboration efficace existant entre les différents services de renseignement européens, ainsi que l'importance du monde universitaire. Il s’agira de déterminer si les décideurs connaissent la valeur réelle du renseignement, ou s’ils se perdent dans l’énorme quantité d’informations qu’ils reçoivent chaque jour. Il faudra également impliquer le décideur dans les processus d'élaboration du renseignement. Il conviendra enfin améliorer la compréhension entre producteurs et consommateurs. Il est temps de pousser le dialogue entre la communauté européenne du renseignement et les décideurs pour encourager une culture du renseignement qui favorise un renseignement plus utile et plus rapidement accessible.

La collaboration entre les Services est étroite, exhaustive et ancienne. (…) le degré de collaboration entre Services est en revanche méconnu. Le Collège est le premier forum de Services à voir le jour pour mettre en lumière cette collaboration.

Bien que la sécurité nationale soit de la compétence exclusive des États membres, comme le prévoit le Traité sur l'Union européenne, la coopération dans le domaine du renseignement s'étend à l'Union, dont les institutions reçoivent les renseignements des différents services à travers l'INTCEN. Nous pouvons être sûrs que les services de renseignement sont pleinement impliqués dans le renforcement du rôle que joue le renseignement au sein de l'Union européenne.

De même, les services de renseignement ont besoin que l’importance du renseignement soit prise en compte par les institutions européennes, afin que les outils et méthodes d'élaboration du renseignement soient compris et préservés. La confidentialité et la sécurité ne doivent pas être exclues. »

Narcotraffic – Une perspective européenne

22 novembre 2023

Le SIRP a organisé une session sur le thème du « trafic de stupéfiants : une perspective européenne » pour approfondir différents aspects de ce phénomène.

Pour lancer le sujet, une cartographie du réseau a été présentée, dans le but d’identifier et de comprendre les liens vitaux qu’entretient ce commerce illicite : les zones de production, les itinéraires de transit et les centres de distribution. L’analyse a mis en évidence la place de l’Europe à la fois comme marché et comme lien crucial dans ce dilemme d’ampleur mondiale que représente ce trafic.

Les implications socio-économiques ont ensuite été examinées, révélant comment le trafic de stupéfiants s’intègre dans le tissu socio-économique de nos nations, affectant les économies, modifiant les paysages de l’emploi et mettant à l’épreuve la capacité de résilience de nos sociétés.

Par ailleurs, en abordant les projections et les solutions pour l’avenir, les participants ont réfléchi à des mesures proactives, recherché des solutions innovantes et renforcé les efforts de collaboration pour atténuer ce problème.

Cette session s’est appuyée sur un large vivier d’expertise. Les experts d’Europol ont fourni des informations mettant en lumière les dernières activités criminelles à travers l’Europe. Le Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N) a abordé les aspects tactiques de l’interception de cargaisons de drogue. De même, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) a présenté une analyse centrée sur les données concernant les tendances actuelles en matière de stupéfiants.

En complément, les Services portugais ont partagé leurs stratégies et leurs inestimables expériences au niveau national, ainsi que les connaissances spécialisées de l’autorité maritime dans la protection de leurs voies navigables. La participation du SICAD a démontré comment relier les efforts en matière de répression avec les services de santé, en faisant progresser les stratégies pour réduire la demande et prévenir les méfaits des stupéfiants.

Enfin, le journalisme d’investigation a également été abordé, notamment comment son interaction avec les forces de l’ordre et les services de renseignement vient renforcer la lutte contre les trafics. Les informations découvertes par les journalistes jouent en effet un rôle souvent déterminant dans l’ouverture d’enquêtes, l’élaboration de politiques publiques et la promotion d’un débat public éclairé. Deux journalistes d’investigation audacieux ont ainsi transporté les participants dans les coulisses de la célèbre route Amérique du Sud-Afrique-Europe.

Séminaire Thématique sur le thème « Comment mettre en œuvre les enjeux stratégiques dans le travail de renseignement »

22 novembre 2023

Les 31 mai et 1er juin 2023, la Sureté de l’Etat belge (VSSE) et l’Organe de Coordination de l’Analyse de la Menace (OCAM), avec le soutien de l’Académie Royale Militaire et de l’Institut Egmont, ont organisé un Séminaire Thématique sur le thème « Comment mettre en œuvre les enjeux stratégiques dans le travail de renseignement » rassemblant 80 participants venus de 23 pays et organisations internationales. Cet événement a été lancé le 30 mai lors d’un dîner de bienvenue sous les auspices de l’Administrateur Général Adjoint du VSSE, M. Pascal PETRY, et du commandant de l’Ecole Royale Militaire, l’Amiral Yves DUPONT.

M. François FISCHER, Directeur du Secrétariat Permanent de l’ICE, a souhaité la bienvenue aux participants et leur a rappelé l’importance de la culture stratégique, donnant comme exemple l’Ukraine qui gagnera sa guerre contre la Russie pour avoir changé de paradigme et pris ses distances avec la culture soviétique.

Le Directeur des relations internationales du VSSE a fait quelques observations introductives sur la stratégie : la stratégie et les objectifs sont interconnectés, mais les objectifs doivent être définis avant que la stratégie puisse être développée. La définition d’une stratégie suit donc une logique top-down, à laquelle les militaires en général et les services militaires en particulier sont plus habitués que les autres services, où les événements (tels que des attentats terroristes) ne laissent souvent pas ou peu de temps pour une approche stratégique.

Le Professeur Sven BISCOP de l’Institut Egmont a donné sa vision concernant la question « Qu’est-ce que la stratégie ? » La stratégie a pour but de définir les conditions à remplir pour continuer son mode de vie, tandis que la « Grande stratégie » définit la sécurité nationale d’un pays, et celui-ci mobilisera toutes ses ressources pour la défendre. Les « grandes stratégies » ne sont pas secrètes et n’évoluent pas rapidement non plus, sauf (rare) cas de choc systémique.

Le Colonel Eric KALAJZIC de l’Institut Royal Supérieur de Défense de Belgique a donné un aperçu de « ce qu’est le renseignement stratégique et sa finalité ». Il a défini le renseignement stratégique comme étant l’information nécessaire pour définir des politiques et des plans aux niveaux international et national, se distinguant ainsi du renseignement opérationnel ou tactique. Le renseignement stratégique a besoin d’orientations nationales ou internationales, tandis que le niveau opérationnel du renseignement analyse ces orientations et que le niveau tactique implique une planification concrète.

La représentante roumaine a mis l’accent sur « l’utilisation d’indicateurs dans les processus d’analyse et d’anticipation ». La prospective stratégique, en tant que capacité à anticiper ce qui se passera dans le futur, n’est pas une tâche facile pour les êtres humains, qui sont sujets aux biais cognitifs : imaginer l’avenir n’est pas instinctif et ils ont tendance à trouver l’avenir dans le passé, ou s’attendent à ce que leur homologue réagisse comme eux. La prospective a besoin d’instruments adaptés (les informations classifiées sont pertinentes, mais les informations open source le sont également, car liées au sujet analysé) et de gérer les attentes : les erreurs sont aussi des occasions d’apprendre, de s’améliorer et de s’adapter.

Deux praticiens de haut niveau, le conseiller stratégique du GISS néerlandais et le responsable de la prospective stratégique de (ACOS Strat.) du ministère belge de la Défense, ont ensuite présenté « des méthodes efficaces pour identifier les défis stratégiques » :

  • Notre collègue néerlandais a détaillé une méthode efficace de construction de scénarios utilisée pour éliminer les préjugés cognitifs, culturels ou institutionnels, les angles morts et la vision en tunnel, grâce à un certain nombre d’étapes systématiques. Cette méthode ne se concentre pas sur l’aspect prévisible mais le caractère concevable des évolutions à venir.
  • Notre collègue belge a détaillé l’intérêt de l’analyse prospective stratégique, qui examine les interactions entre les moteurs du changement et offre une vision large mais utile sur l’avenir dans les domaines social, technique, environnemental, économique et politique.

Le directeur p.i. de l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace belge (OCAM/CUTA), a souhaité la bienvenue aux participants de la deuxième journée du séminaire. Il leur a rappelé l’importance de définir des priorités dans l’anticipation des menaces et la prévention des crises, ainsi que d’établir une coopération efficace avec les partenaires. Il a insisté sur la nécessité de disposer d’un système robuste de partage de renseignements et sur la nécessité d’investir dans des technologies telles que l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et l’analyse des données pour fournir des résultats exploitables aux décideurs.

Deux intervenants du Cabinet Office britannique ont expliqué le « lien entre politique et opérations : comment traduire les défis stratégiques en action de renseignement ». Après une présentation de la politique de renseignement en général et du rôle joué par le Cabinet Office en particulier, ils ont détaillé l’approche intergouvernementale et intercommunautaire adoptée, depuis le groupe dédié à la sécurité nationale jusqu’aux apports opérationnels qui en découlent.

Dr Christiane HÖHN, conseillère principale du coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, est intervenue sur « comment avoir une approche globale ? » Elle a abordé la manière de définir les objectifs stratégiques en contreterrorisme, en insistant sur l’importance des contributions en matière de sécurité et de renseignement, et la nécessité de les transformer en actions et en outils, et comment les opérateurs peuvent influencer les choix stratégiques.

Le conseiller stratégique du ministère belge des Affaires étrangères a abordé des « Réalisations pratiques – la stratégie belge de sécurité nationale ». Après avoir énuméré les six intérêts vitaux du Royaume de Belgique, il a rappelé que la sécurité nationale est un document cadre qui reste général (les stratégies de contreterrorisme ou de défense étant des sous-stratégies). Tous les six mois, tout le personnel est examiné afin d’évaluer la réalisation de ces priorités.

M. Wiktor STANIECKI, Adjoint au Chef de la Division Politique de Sécurité et de Défense du Service européen pour l’Action Extérieure (SEAE) a présenté « la Boussole stratégique de l’UE ». Ce document contient ainsi une évaluation publique de la menace qui rassemble les principales conclusions de l’analyse de la menace pour l’UE fournie par le SIAC, des propositions concrètes avec des dates cibles précises, et prescrit un processus d’examen régulier au niveau du Conseil et des Conseils européens.

M. Cesar BALGUERIAS, Conseiller Politique du Directeur de l’INTCEN, a présenté la position du SIAC (Capacité Unique d’Analyse du Renseignement) dans la stratégie de sécurité de l’UE. Le SIAC a fourni aux institutions européennes une « Analyse des menaces » en 2020, puis une version révisée en 2022, qui intègre les analyses stratégiques des menaces fournies par les services nationaux et les inscrit dans un contexte multilatéral.

La Directrice de l’Unité de production de renseignement(IPU) du Département conjoint de Sécurité et de Renseignement (JISD) de l’OTAN a présenté le « concept stratégique de l’OTAN », une approche à 360 degrés incluant une forte collaboration tant entre les Alliés qu’avec les partenaires de l’OTAN. Elle a abordé des projets de collaboration avec des partenaires de l’OTAN sur les menaces hybrides, la cybersécurité, l’espace, la manipulation des démocraties et l’utilisation de la technologie contre nos forces armées.

Conclusion

En raison du grand intérêt de la thématique proposée, de son atmosphère informelle et de sa configuration diversifiée, réunissant des praticiens du renseignement, des universitaires, des think-tankers et des décideurs (destinataires du renseignement stratégique ou personnes impliquées dans la priorisation), le Séminaire Thématique a été à la fois intensif et intense. Ce séminaire a permis aux participants de poser leurs questions et d’aborder des problématiques liées à leur travail quotidien, ainsi que celles qui leur semblent les plus importantes, le rendant particulièrement interactif. Ce premier séminaire du Collège organisé à Bruxelles montre également tout l’intérêt de tels événements qui permettent de mener certaines actions de sensibilisation vers l’UE et de souligner le haut degré de coopération au sein de notre communauté européenne du renseignement et de sécurité.

Cours universitaire sur le renseignement et l’armée

22 novembre 2023

Du 2 au 6 octobre, le cours universitaire intitulé « Renseignement et armée » s’est déroulé à La Haye, aux Pays-Bas. Cet événement était organisé par la Faculté des sciences militaires de l'Académie de défense des Pays-Bas (NLDA) et soutenu par le Service du Renseignement et de la Sécurité Militaires néerlandais, dans le cadre du Collège du Renseignement en Europe. Environ 30 officiers de renseignement issus de 15 pays membres du Collège ont participé à ce cours.

Le récent conflit en Ukraine et les événements tragiques survenus en Afghanistan à l’été 2021 illustrent clairement l’environnement complexe dans lequel les forces militaires doivent opérer. De manière générale, l’environnement dans lequel les armées occidentales opèrent a été défini comme de « nouvelles guerres »[i], des conflits hybrides ou encore des conflits de la zone grise. Ils se caractérisent par différentes combinaisons d’acteurs étatiques et non-étatiques et de menaces qui brouillent la distinction entre paix et guerre. La stabilité est menacée par des déplacements massifs de population, des institutions économiques, politiques et sociales fragiles ou défaillantes, des violences aléatoires et systématiques contre les non-combattants et une anarchie généralisée. Comme l’a démontré la guerre en Ukraine, cela n’exclut pas une guerre militaire régulière. Pourtant, il existe une confusion entre les rôles et les domaines du renseignement national et étranger, civil et militaire, ainsi qu’entre les niveaux stratégique, opérationnel et tactique de la guerre. À ces défis s’ajoutent les nombreuses innovations qui surgissent très rapidement et influencent la manière dont les organisations militaires mènent leurs actions de renseignement.

C’est ainsi que les gouvernements dépensent de grandes sommes dans le renseignement pour soutenir leurs armées aux niveaux tactique, opérationnel et stratégique. Cela se produit dans de nombreux domaines de mission différents, à l’extérieur comme à l’intérieur de leurs frontières, et dans des contextes très divers, notamment la lutte contre le terrorisme, la sécurité intérieure et les opérations de paix et de stabilité. Toutefois, la recherche n’a, dans l’ensemble, accordé qu’une attention limitée aux relations entre renseignement et armée. De ce fait, les principales revues académiques du renseignement ne publient qu’occasionnellement sur ce sujet[ii]. Il semble que peu de choses aient changé depuis que Michael Handel[iii] a souligné que « les histoires militaires les plus exhaustives évoquent à peine la contribution importante des activités de renseignement ». Dans les universités et universités de défense, ce sujet ne reçoit également pas beaucoup d’attention. De leur côté, les écoles de renseignement militaire se concentrent principalement sur la fourniture d’outils et de techniques pratiques, telles que des techniques analytiques ou des mesures de contre-espionnage.

Ce cours cherchait à combler cette lacune en réfléchissant au rôle du renseignement au sein de l'armée et en fournissant de nouvelles perspectives conceptuelles et empiriques. Il s’est déroulé autour de cinq thèmes : « Le renseignement de défense en soutien au renseignement stratégique », « Le renseignement militaire en soutien aux opérations militaires », « Contrer les menaces hybrides », « Technologie et innovation » et « Le rôle du renseignement dans le conflit russo-ukrainien ». L'objectif principal de ce cours était de rassembler des praticiens du renseignement et des experts universitaires pour engager un dialogue de fond. Cela a stimulé le développement des connaissances et une compréhension plus approfondie sur le thème du renseignement et de l’armée. Au cours de chaque session, de larges périodes ont été consacrées à l'échange de perspectives, d'expériences et d'idées. Un élément important de ce cours était l'interaction. Outre les pauses café et déjeuner, le programme proposait une visite guidée sur le terrain, à La Haye, ainsi que plusieurs dîners en commun qui ont permis de poursuivre les discussions dans un cadre informel. A l’issue de ce cours, les participants ont souligné l’intérêt de ces échanges tant formels qu’informels, contribuant ainsi avec succès aux objectifs du Collège visant à développer une culture commune dans le domaine du renseignement en Europe et à favoriser la compréhension mutuelle.


[i] Mary Kaldor, New and old wars: Organized violence in a global area. Third edition. (Stanford: Stanford University Press, 2012).

[ii] Sebastiaan J.H. Rietjens, “Intelligence in defence organizations: a tour de Force,” Intelligence and National Security, Vol. 35, No. 5., 2020, p. 717-733.

[iii] Michael Handel (ed.), Intelligence and Military Operations (Abingdon: Routledge, 1990), pp. 74.

Séminaire Thématique sur le thème « Comment mettre en œuvre les enjeux stratégiques dans le travail de renseignement »

20 octobre 2023

Les 31 mai et 1er juin 2023, la Sureté de l’Etat belge (VSSE) et l’Organe de Coordination de l’Analyse de la Menace (OCAM), avec le soutien de l’Académie Royale Militaire et de l’Institut Egmont, ont organisé un Séminaire Thématique sur le thème « Comment mettre en œuvre les enjeux stratégiques dans le travail de renseignement » rassemblant 80 participants venus de 23 pays et organisations internationales. Cet événement a été lancé le 30 mai lors d’un dîner de bienvenue sous les auspices de l’Administrateur Général Adjoint du VSSE, M. Pascal PETRY, et du commandant de l’Ecole Royale Militaire, l’Amiral Yves DUPONT.

M. François FISCHER, Directeur du Secrétariat Permanent de l’ICE, a souhaité la bienvenue aux participants et leur a rappelé l’importance de la culture stratégique, donnant comme exemple l’Ukraine qui gagnera sa guerre contre la Russie pour avoir changé de paradigme et pris ses distances avec la culture soviétique.

Le Directeur des relations internationales du VSSE a fait quelques observations introductives sur la stratégie : la stratégie et les objectifs sont interconnectés, mais les objectifs doivent être définis avant que la stratégie puisse être développée. La définition d’une stratégie suit donc une logique top-down, à laquelle les militaires en général et les services militaires en particulier sont plus habitués que les autres services, où les événements (tels que des attentats terroristes) ne laissent souvent pas ou peu de temps pour une approche stratégique.

Le Professeur Sven BISCOP de l’Institut Egmont a donné sa vision concernant la question « Qu’est-ce que la stratégie ? » La stratégie a pour but de définir les conditions à remplir pour continuer son mode de vie, tandis que la « Grande stratégie » définit la sécurité nationale d’un pays, et celui-ci mobilisera toutes ses ressources pour la défendre. Les « grandes stratégies » ne sont pas secrètes et n’évoluent pas rapidement non plus, sauf (rare) cas de choc systémique.

Le Colonel Eric KALAJZIC de l’Institut Royal Supérieur de Défense de Belgique a donné un aperçu de « ce qu’est le renseignement stratégique et sa finalité ». Il a défini le renseignement stratégique comme étant l’information nécessaire pour définir des politiques et des plans aux niveaux international et national, se distinguant ainsi du renseignement opérationnel ou tactique. Le renseignement stratégique a besoin d’orientations nationales ou internationales, tandis que le niveau opérationnel du renseignement analyse ces orientations et que le niveau tactique implique une planification concrète.

La représentante roumaine a mis l’accent sur « l’utilisation d’indicateurs dans les processus d’analyse et d’anticipation ». La prospective stratégique, en tant que capacité à anticiper ce qui se passera dans le futur, n’est pas une tâche facile pour les êtres humains, qui sont sujets aux biais cognitifs : imaginer l’avenir n’est pas instinctif et ils ont tendance à trouver l’avenir dans le passé, ou s’attendent à ce que leur homologue réagisse comme eux. La prospective a besoin d’instruments adaptés (les informations classifiées sont pertinentes, mais les informations open source le sont également, car liées au sujet analysé) et de gérer les attentes : les erreurs sont aussi des occasions d’apprendre, de s’améliorer et de s’adapter.

Deux praticiens de haut niveau, le conseiller stratégique du GISS néerlandais et le responsable de la prospective stratégique de (ACOS Strat.) du ministère belge de la Défense, ont ensuite présenté « des méthodes efficaces pour identifier les défis stratégiques » :

  • Notre collègue néerlandais a détaillé une méthode efficace de construction de scénarios utilisée pour éliminer les préjugés cognitifs, culturels ou institutionnels, les angles morts et la vision en tunnel, grâce à un certain nombre d’étapes systématiques. Cette méthode ne se concentre pas sur l’aspect prévisible mais le caractère concevable des évolutions à venir.
  • Notre collègue belge a détaillé l’intérêt de l’analyse prospective stratégique, qui examine les interactions entre les moteurs du changement et offre une vision large mais utile sur l’avenir dans les domaines social, technique, environnemental, économique et politique.

Le directeur p.i. de l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace belge (OCAM/CUTA), a souhaité la bienvenue aux participants de la deuxième journée du séminaire. Il leur a rappelé l’importance de définir des priorités dans l’anticipation des menaces et la prévention des crises, ainsi que d’établir une coopération efficace avec les partenaires. Il a insisté sur la nécessité de disposer d’un système robuste de partage de renseignements et sur la nécessité d’investir dans des technologies telles que l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et l’analyse des données pour fournir des résultats exploitables aux décideurs.

Deux intervenants du Cabinet Office britannique ont expliqué le « lien entre politique et opérations : comment traduire les défis stratégiques en action de renseignement ». Après une présentation de la politique de renseignement en général et du rôle joué par le Cabinet Office en particulier, ils ont détaillé l’approche intergouvernementale et intercommunautaire adoptée, depuis le groupe dédié à la sécurité nationale jusqu’aux apports opérationnels qui en découlent.

Dr Christiane HÖHN, conseillère principale du coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, est intervenue sur « comment avoir une approche globale ? » Elle a abordé la manière de définir les objectifs stratégiques en contreterrorisme, en insistant sur l’importance des contributions en matière de sécurité et de renseignement, et la nécessité de les transformer en actions et en outils, et comment les opérateurs peuvent influencer les choix stratégiques.

Le conseiller stratégique du ministère belge des Affaires étrangères a abordé des « Réalisations pratiques – la stratégie belge de sécurité nationale ». Après avoir énuméré les six intérêts vitaux du Royaume de Belgique, il a rappelé que la sécurité nationale est un document cadre qui reste général (les stratégies de contreterrorisme ou de défense étant des sous-stratégies). Tous les six mois, tout le personnel est examiné afin d’évaluer la réalisation de ces priorités.

M. Wiktor STANIECKI, Adjoint au Chef de la Division Politique de Sécurité et de Défense du Service européen pour l’Action Extérieure (SEAE) a présenté « la Boussole stratégique de l’UE ». Ce document contient ainsi une évaluation publique de la menace qui rassemble les principales conclusions de l’analyse de la menace pour l’UE fournie par le SIAC, des propositions concrètes avec des dates cibles précises, et prescrit un processus d’examen régulier au niveau du Conseil et des Conseils européens.

M. Cesar BALGUERIAS, Conseiller Politique du Directeur de l’INTCEN, a présenté la position du SIAC (Capacité Unique d’Analyse du Renseignement) dans la stratégie de sécurité de l’UE. Le SIAC a fourni aux institutions européennes une « Analyse des menaces » en 2020, puis une version révisée en 2022, qui intègre les analyses stratégiques des menaces fournies par les services nationaux et les inscrit dans un contexte multilatéral.

La Directrice de l’Unité de production de renseignement(IPU) du Département conjoint de Sécurité et de Renseignement (JISD) de l’OTAN a présenté le « concept stratégique de l’OTAN », une approche à 360 degrés incluant une forte collaboration tant entre les Alliés qu’avec les partenaires de l’OTAN. Elle a abordé des projets de collaboration avec des partenaires de l’OTAN sur les menaces hybrides, la cybersécurité, l’espace, la manipulation des démocraties et l’utilisation de la technologie contre nos forces armées.

Conclusion

En raison du grand intérêt de la thématique proposée, de son atmosphère informelle et de sa configuration diversifiée, réunissant des praticiens du renseignement, des universitaires, des think-tankers et des décideurs (destinataires du renseignement stratégique ou personnes impliquées dans la priorisation), le Séminaire Thématique a été à la fois intensif et intense. Ce séminaire a permis aux participants de poser leurs questions et d’aborder des problématiques liées à leur travail quotidien, ainsi que celles qui leur semblent les plus importantes, le rendant particulièrement interactif. Ce premier séminaire du Collège organisé à Bruxelles montre également tout l’intérêt de tels événements qui permettent de mener certaines actions de sensibilisation vers l’UE et de souligner le haut degré de coopération au sein de notre communauté européenne du renseignement et de sécurité.

Menace russe –perspective à 10 ans

4 octobre 2023

Le Service de sécurité et de renseignement tchèque (BRI) a organisé un séminaire thématique sur « La menace russe –perspective à 10 ans » qui s’est tenu à Prague du 23 au 25 mai 2023.

Ce séminaire de deux jours était divisé en quatre blocs. Le premier portait sur la menace que représente la Russie pour la sécurité de l’Europe centrale et des pays occidentaux en général dans 10 ans, le second sur l’avenir des relations de la Russie avec le reste du monde, à savoir la Chine et les pays africains. Le troisième traitait de la question de l’énergie et de son utilisation comme arme par la Russie (toujours dans une perspective décennale). Le dernier bloc comprenait plusieurs brèves présentations des services de sécurité tchèques et d’autres institutions publiques sur le thème principal du séminaire.

Dans les années à venir, la Russie restera une menace pour la sécurité de l’Occident, principalement en raison de la nature même du régime russe. Pour comprendre la position de la Russie et la motivation de ses dirigeants, la proximité culturelle ou la dimension économique font partie des catégories les moins pertinentes. Pour les Russes, en effet, leur pays est le plus grand, il est unique en son genre et victorieux. Ils estiment que le rôle de la Russie dans l’histoire européenne et mondiale est exceptionnel. La source de ce sentiment de singularité est l’idéologie, reflétée et renforcée par l’immensité et l’isolement du territoire russe.

La Russie n’a jamais pris au sérieux la vision libérale selon laquelle l’interdépendance adoucit la concurrence et renforce la confiance, et où les relations économiques sont plus importantes que les priorités de puissance. L’objectif principal des élites russes est de maintenir un pouvoir illimité en Russie et une influence maximale possible dans le monde. Poutine a construit un régime néo-soviétique et il est peu probable qu’il y ait un changement radical dans cette trajectoire de développement, qu’il reste ou non au pouvoir.

On peut s’attendre à ce que de nouveaux développements, des efforts diplomatiques et la promotion de l’attractivité économique fassent partie d’un plan stratégique commun sino-russe pour les années à venir. Le prochain sommet Xi-Poutine, qui se tiendra probablement à Pékin à l’automne, s’annonce comme une référence intéressante en ce qui concerne l’évolution et des événements à venir en termes de réalignement mondial.

La Russie et la Chine partagent des intérêts nationaux et internationaux. Dans la Déclaration conjointe de la Fédération de Russie et de la République Populaire de Chine sur les Relations Internationales Entrant dans une Nouvelle Ère et le Développement Durable Mondial (4 février 2022), la Russie et la Chine ont déclaré une « amitié sans limites » et ont rejeté l’universalisme des systèmes et des valeurs politiques. De leur point de vue, certains États tentent d’imposer leurs propres « normes démocratiques » à d’autres pays. La Russie et la Chine sont d’accord pour dire que « La défense de la démocratie et des droits de l’homme ne doit pas être utilisée pour faire pression sur d’autres pays. Aucun pays n’est supérieur aux autres, aucun modèle de gouvernance n’est universel et aucun pays ne devrait dicter l’ordre international à lui seul ». La Russie et la Chine prônent un « ordre mondial véritablement multilatéral » et « une plus grande démocratie dans les relations internationales ». Ces pays ont affirmé une amitié sans domaines de coopération « interdits » et se perçoivent comme des « puissances mondiales responsables ».

La présence russe en Afrique va s’affaiblir dans les années à venir et se limitera aux régions en proie à des conflits. À mesure que les dirigeants africains vieilliront, la Russie va perdre ses liens historiques avec leurs pays et rivalisera avec la Chine en matière d’influence dans la région.

L’économie russe est faible et en déclin. Au moment de l’effondrement de l’Union soviétique, sa part dans l’économie mondiale était à peu près la même que celle de la Chine. En 2020, la part de la Chine dans l’économie mondiale était de 17,5 %, tandis que celle de la Russie était d’environ 1,78 % et elle devrait continuer de décroitre chaque année au cours de la décennie suivante.

L’économie russe repose sur les ressources naturelles et sa structure est sous-développée. En 2021, les combustibles et l’énergie représentaient 53,8 % des revenus d’exportation de la Russie, les métaux et produits métalliques 11,2 %. Par le passé, la Russie a déclaré à plusieurs reprises qu’elle diversifierait son économie et développerait son secteur technologique, mais elle n’y est jamais parvenue et il est peu probable qu’elle y parvienne dans un avenir proche.

La Russie a tiré les leçons des sanctions occidentales qui lui ont été imposées après son annexion de la Crimée. Entre 2014 et 2022, le pays s’est préparé aux effets des sanctions potentielles en développant l’autosuffisance en matière d’approvisionnement en produits alimentaires de base, en restructurant ses réserves officielles, en réduisant la dépendance du financement de la dette publique à l’égard des investisseurs étrangers, en rendant difficile le départ des entreprises étrangères de Russie, etc. Pour toutes ces raisons, auxquelles s’ajoute le contournement généralisé des sanctions, les sanctions actuelles contre la Russie n’ont, jusqu’à présent, pas affecté l’économie russe autant qu’espéré.

L’impact estimé des sanctions occidentales sur le PIB de la Russie, basé sur des comparaisons des prévisions de croissance du PIB russe avant et après l’invasion de l’Ukraine, suggère que le PIB réel du pays en 2022 était inférieur de 7 à 10 % à ce qu’il aurait été si les sanctions n’avaient pas été appliquées après l’invasion. Cette réduction de la croissance du PIB devrait se poursuivre en 2023 et début 2024.

Au fil du temps, la Russie continuera probablement de développer des modèles commerciaux alternatifs qui atténueront tout impact futur des sanctions, principalement par le biais de réexportations vers des pays tiers – certaines via la Chine, la plupart via la Turquie et les pays d’Asie centrale, mais aussi les Émirats Arabes Unis, l’Arménie et la Géorgie. Ces pays profitent de la guerre et des sanctions imposées à la Russie ainsi que de la fuite des capitaux russes hors du pays. Alors que l’économie russe se contracte, leurs économies devraient connaître une croissance moyenne d’environ 5 %. Environ 15 500 entreprises russes sont actuellement enregistrées au Kazakhstan, soit une augmentation de 100 % par rapport à l’année dernière. L’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan et le Kirghizistan sont dans une union douanière avec la Russie et, de l’autre côté, la Turquie est dans une union douanière avec l’UE.

En ce qui concerne l’armée russe, la Russie a subi d’énormes pertes et n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés après son invasion de l’Ukraine (en février 2022). Les principales raisons étaient à la fois opérationnelles (soldats en trop faible nombre, mauvaises planification et hypothèses, logistique difficile sur le vaste territoire ukrainien) et structurelles (soldats avec une formation et des capacités limitées, réticence à recourir aux conscrits et à mobiliser, corruption et dépenses militaires inefficaces). Dans le conflit, la Russie a brûlé une partie de ses dépôts militaires et a subi d’énormes pertes humaines. Si la Russie améliore sa production d’armes, elle pourra rééquiper ses unités d’ici 2028-2030. Le réapprovisionnement en personnel peut être rapide en termes d’effectifs ; cependant, en termes de qualité, le réapprovisionnement durera peut-être une décennie.

Du point de vue des États-Unis (ou du Royaume-Uni et de certains autres pays d’Europe occidentale), il existe une relation linéaire entre l’affaiblissement de la Russie et la menace qu’elle représente pour eux. Pour les PECO (Pays d’Europe centrale et orientale), la situation est plus compliquée : le pilier central de leur sécurité est la présence américaine sur le continent. Si les États-Unis décident de se retirer (par exemple parce que la Russie ne constitue plus une menace crédible), leur situation en matière de sécurité pourrait être pire qu’avant la guerre.

Nous pensons que l’événement a été enrichissant tant pour les représentants des services de renseignement que pour les représentants du monde académique.

International Association For Intelligence Education (IAFIE) & IAFIE Chapitre Européen

4 octobre 2023

Conférence Annuelle – Copenhague (11-13 septembre 2023)

Le Directeur du Secrétariat Permanent du Collège du renseignement en Europe (Collège) a participé à la Conférence annuelle de l’International Association for Intelligence Education (IAFIE) qui s'est tenue à Copenhague du 11 au 13 septembre 2023, en format conjoint AIFIE et AIFIE Chapitre Européen.

Cette conférence, qui s'est tenue dans les locaux du Collège de Défense danois, était organisée conjointement par les autorités danoises et norvégiennes (via leurs Universités de Défense) au terme d’une préparation intense.

L'événement, de grande ampleur et à grande visibilité au sein de la communauté occidentale des Intelligence Studies et des centres de formation au renseignement, était ouvert aux responsables universitaires en Intelligence Studies, aux dirigeants de centres de formation des Services ainsi qu’à de nombreux cadres de sociétés de renseignement privées travaillant pour les Services ou en bonne "intelligence" avec eux.

Le programme était à la fois dense et complet, touchant grâce à de nombreuses tables rondes ou panels parallèles, de nombreux thèmes intéressants et stimulants pour tout universitaire impliqué dans le domaine des études sur le renseignement et la sécurité ou tout Directeur d'Académie nationale du renseignement, Directeur des programmes ou de programmes de recherche au sein des centres de formation professionnelle de services de renseignement.

Cela a tout d'abord permis d'identifier les nouveaux champs d'études, les axes de publication, les chercheurs les plus originaux, d'évoquer les problèmes rencontrés au niveau pédagogique ou les nouvelles thématiques à aborder. Au-delà de cette fonction de veille/recherche, l’évènement a permis d'entretenir et d'enrichir les réseaux de contacts entre collègues partageant les mêmes valeurs et les mêmes règles de sécurité.

Le Collège du renseignement en Europe, par la voix de son Directeur, a profité de cet événement pour mieux se faire connaître des milieux académiques et pour renforcer ses interactions dans le domaine des Intelligence Studies. Le Directeur a ainsi présenté l'évolution des activités de formation et de sensibilisation du Collège ainsi que les axes de développement en direction de la Jeunesse et d'une culture du renseignement et de la sécurité européenne plus robuste. La participation active à de multiples tables rondes et de nombreux contacts informels avec des chercheurs ont également permis d'identifier de futurs sujets de coopération ou d'action pour le Réseau Académique du Collège.

Séminaire du Collège du Renseignement en Europe sur le renseignement en source ouverte (OSINT)

27 juin 2023

Du 1er au 3 mars 2023, la France a accueilli à Paris un séminaire du Collège du Renseignement en Europe sur le renseignement en source ouverte (OSINT). Lors de cet évènement, les six principaux services de la communauté française du renseignement, des universitaires, des institutionnels issus de l’Union européenne et des représentants de différents services européens ont pu échanger et partager leurs préoccupations face aux enjeux de l’OSINT et ses perspectives d’évolution.

Même si l’OSINT reste difficile à définir de façon homogène en Europe et dans le monde, plusieurs consensus ont émergé au travers des présentations. L’OSINF (Open Source Information), qui comprend les bases de données commerciales ou disponibles en open data, est accessible à tout le monde, que ce soit pour la recherche ou la veille. L’objectif de l’OSINF est de mettre en place une base de connaissances. À la différence, l’OSINT est une discipline plus ciblée. Il s’agit de renseignement concret et actionnable, recueilli sur des cibles précises, avec des techniques complexes allant du criblage à la désanonymisation. C’est la finalité de la collecte qui fait la différente entre l’OSINF et l’OSINT.

La guerre en Ukraine a accéléré grandement la prise de conscience de la profusion et de la disposition des données OSINT, tant en termes de quantité que de nature. Concrètement, on distingue quatre grands types de données OSINT : données de contenu (audio, vidéo, texte), d’informations (sélecteurs), d’interactions (liens) et de quantité.

Cette masse d’information suppose la mise au point d’outils mais aussi la professionnalisation des Osinters. En effet, une stratégie d’automatisation est nécessaire mais pas suffisante car une analyse critique du résultat obtenu demeure indispensable. L’analyse finale reste clé, l’intelligence artificielle, si elle facilite grandement l’analyse de jeux de données, ne peut détecter des nuances fines telles que le sarcasme et l’ironie, qui sont quasiment impossibles à intégrer dans un algorithme. C’est là qu’intervient le facteur humain dans l’OSINT.

La formation d’Osinters est le principal enjeu contemporain. L’OSINT est devenu un métier à part entière, voire plusieurs métiers. Il leur reste à trouver leur place dans le monde du renseignement où l’Humint apparait toujours comme le domaine « noble ». Cette place ne saura être obtenue qu’avec un véritable dialogue entre l’Osinter et l’expert (géographique ou thématique). L’analyste et l’Osinter doivent donc travailler de façon resserrée. Les uns doivent pouvoir faire le travail des autres (toutes proportions gardées) pour que les analystes soumettent des requêtes qui correspondent aux moyens dont disposent les Osinters. Et à l’inverse, il faut que les Osinters puissent repérer une information pertinente, même si elle ne leur a pas été demandée. L’OSINT est donc un défi aussi technique qu’humain qui suppose des formations et des investissements conséquents.

La professionnalisation de l’OSINT n’intervient pas que dans le renseignement et le domaine militaire. Elle est aujourd’hui le fait de journalistes et aussi du monde judiciaire, ce qui ouvre un nouveau champ de questionnements quant à l’utilisation de l’OSINT (en cas de crime de guerre par exemple).

Le fondateur de l’ONG Openfacto (créée en 2019) a développé ce concept de journalisme citoyen s’appuyant sur l’OSINT. Il en a rappelé les contraintes : risque de manipulation, importances des structures anglophones, manques de moyens quand on veut garder sa liberté éditoriale, absence de protection juridique… Une partie de ces contraintes peuvent être compensées par l’association avec des consortiums de journalistes qui eux, ont des moyens, des avocats et des capacités de traduction.

À l’avenir, l’accès aux informations représente un nouvel enjeu. Les vannes des flux de données sont en train de se fermer. Twitter, Meta, Instagram adoptent des politiques qui vont rendre l’accès aux données plus difficile. Le phénomène de Splinternet – régionalisation de l’internet – accentue cette tendance. L’accès restera possible mais va devenir payant. L’OSINT est aussi une matière première, il a une valeur qui génère une économie de revente la plupart du temps sur un marché clandestin. 90 % de l’information est issue de source publique. L’OSINT vient compléter et parfois remplacer le renseignement « classique » quand celui-ci devient trop coûteux ou trop dangereux à obtenir. Les techniques très utilisées à un moment donné peuvent ne plus l’être quelques semaines plus tard, à cause notamment de la mise en place progressive de patchs correctifs sur des failles de sécurité. Ainsi, les Osinters doivent s’adapter en permanence à l’évolution technique pour continuer à exercer efficacement.

Parmi les défis à relever, celui de la sémantique est important car il est sous-jacent au principe du machine learning. Les technologies d’intelligence artificielle, de deepfake et ChatGPT vont rendre le travail de plus en plus difficile de par leurs conséquences sur la manipulation de l’information. Les risques associés à l’OSINT sont aussi éthiques et il convient d’y être attentif en gardant à l’esprit les intérêts servis. L’OSINT étant un espace de diffusion d’information, il est également un espace d’influence. Le conflit en Ukraine et l’usage de l’OSINT dans ce cadre ont entrainé un changement d’échelle. L’OSINT est devenu un outil utilisé en soutien à des opérations d’influence dans la guerre. Les forces en présence s’appuient sur des communautés d’Osinters ce qui leur permet un gain de temps et d’argent. Confirmée et fiabilisée, l’OSINT est une source comme une autre de renseignement. C’est aussi potentiellement une arme de propagande, d’influence et de manipulation.

Lutte contre la manipulation de l’information (session de formation continue)

21 mars 2023

Du 7 au 9 décembre 2022, la Coordination Nationale du Renseignement et de la Lutte contre le terrorisme (CNRLT) et l’Académie du Renseignement françaises ont organisé une session de formation continue dédiée à la lutte contre la manipulation de l’information.

Cette session de formation continue à destination des cadres était la première de l’édition 2022-2023 du Programme des cadres du Collège et a rassemblé 19 participants de 14 pays membres.

La CNRLT et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) ont débuté cette session par une présentation de la communauté française du renseignement et de l’organisation de la lutte contre la manipulation de l’information en France.

La présentation a permis aux participants d’appréhender le contexte français et d’apporter un éclairage sur la stratégie du MEAE. Elle a ainsi montré l’articulation entre diplomatie et renseignement et a identifié les contraintes qui lui sont associées : rapidité de diffusion, besoin d’éducation, dialogue à construire avec le secteur privé (plateformes), etc. La complémentarité des niveaux national et européen a été soulignée.

La deuxième journée a dû être écourtée en raison de l’annulation de dernière minute d’un des universitaires, mais aura néanmoins été intense. Le travail s’est ainsi porté sur le monde académique et celui de la défense, complété par des échanges au sein de groupes de travail.

Le sociologue Gérald Bronner, professeur à l’Université Paris-Cité et responsable de la commission « Les lumières à l’ère du numérique » mandatée par la présidence de la République française, a présenté une partie de son rapport sur l’état des lieux des dérèglements informationnels à l’ère du numérique. Il a évoqué un de ses livres, l’Apocalypse cognitive, qui peut fournir une solide base de travail. La situation à laquelle nous sommes confrontés est inédite. Pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, nous avons accès à une quantité d’informations sans précédent et, simultanément, nous avons suffisamment de temps libre pour nous en saisir. On pourrait rêver à l’avènement d’une démocratie du savoir, mais c’est malheureusement un fantasme. Nous sommes en effet confrontés à une cacophonie d’informations où tout le monde peut affirmer ce qu’il veut et est écouté au même titre que les experts. Cette concurrence de l’information que l’on retrouve dans le monde entier, a une conséquence directe tout à fait fâcheuse : notre attention est un bien précieux qu’il faut capter à tout prix. Toutes les caractéristiques psychologiques de notre cerveau sont utilisées abusivement pour « prendre en otage » notre attention : effet cocktail party, attirance pour le conflit, biais cognitif, effet d’ancrage, stéréotypes sociaux. Nos démocraties sont confrontées aux intérêts d’un modèle économique où les fake news font irruption dans le débat public. Ces fake news sont diffusées 6 fois plus vite que les faits authentiques, car plus faciles à digérer pour nos cerveaux « paresseux », désireux de satisfaire notre attirance pour la radicalité. Pour contrer cette tendance, la sociologie et l’éducation sont essentielles mais pas suffisantes en soi. Une révolution éducative complète initiée par une politique étatique est donc nécessaire.

Le second universitaire invité était Paul Charon de l’IRSEM, auteur d’un rapport sur les opérations d’influence chinoises (« Un moment machiavélien »,Vimer-Charon). Pendant longtemps, la Chine a cherché à être aimée plutôt que crainte mais, aujourd’hui, Pékin se montre de plus en plus à l’aise avec l’infiltration et la coercition. Ses opérations d’influence sont plus dures et ses méthodes sont similaires à celles employées par Moscou (russification). Grâce à de nombreux exemples, M. Charon a présenté les concepts (Front uni, les Trois guerres, mesures actives…) et les acteurs (Parti, Etat, Armée) à garder à l’esprit lorsque l’on parle de désinformation chinoise. Les principales cibles en termes de manipulation de l’information ont été énoncées (diaspora, médias, éducation, think-tanks, diplomatie). Enfin, M. Charon a évalué l’efficacité de cette nouvelle posture chinoise, qui peut certes se targuer de quelques succès tactiques, mais qui est un échec au niveau stratégique, tant l’opinion positive à l’égard de la Chine s’est effondrée dans la plupart des pays développés entre 2019 et aujourd’hui, passant singulièrement de 70 % à 19 % en Corée du Sud. Face à cette évolution, la Chine devra changer ses méthodes mais gardera probablement les mêmes objectifs. La Chine se trouve à un moment de transition.

Plusieurs structures étatiques ont été présentées aux participants, à commencer par le Comcyber du ministère des Armées, chargé de la Lutte informatique d’influence (L2I). Face à la propagande de l’organisation EIIL/DAECH puis, plus récemment, aux activités russes et chinoises en Afrique, la France a dû développer une stratégie impliquant de nombreux acteurs afin de synchroniser les efforts. Le Comcyber a pour mission de dénoncer la désinformation en vérifiant les faits, ce qui devient de plus en plus difficile au vu du volume d’informations qui croît sans cesse. Obtenir le soutien des plateformes privées et leur engagement dans la modération des contenus est donc essentiel. Face à la désinformation, l’anticipation est tout aussi essentielle pour discréditer l’acteur hostile et persuader l’opinion publique. La vérité est au cœur de la stratégie française et la principale contrainte liée à cette lutte est le facteur temps. L’OSINT est un précieux allié dans ce combat, qui est un travail d’équipe.

Dans cette équipe, les services de renseignement jouent un rôle important, et c’est ce qu’a présenté la DGSI. La mission du service est centrée sur la sécurisation de l’indépendance de l’information dans nos démocraties. Il s’agit d’identifier la menace pour pouvoir contrer l’activité des acteurs hostiles par des méthodes classiques de contre-espionnage, mais également grâce à de nouveaux outils développés par des veilleurs ou pour soutenir les activités de ces veilleurs. Pour pouvoir identifier le risque, le spectre des cibles potentielles a été élargi aux faiseurs d’opinion, bien au-delà de l’arène politique (universitaires, membres de think-tanks, journalistes, blogueurs…).

La désinformation repose également sur des médias « contrôlés » visant à influencer la diaspora et l’opinion publique du pays ou de la région ciblés, dans une stratégie beaucoup plus ambitieuse. Quelques services étrangers considèrent la désinformation comme un outil offensif (mesures actives) et ont actualisé les techniques « soviétiques » destinées à diviser l’opinion publique occidentale, à nuire au moral de la population et à entraver le caractère démocratique du débat public.

La lutte contre la désinformation et la manipulation de l’information intègre une dimension numérique qui a été présentée à la fois par la DGSI et Viginum. Même si Internet était une promesse d’autonomisation, c’est avant tout un marché où seuls les plus motivés peuvent avoir une certaine audience. Les services tentent d’identifier les liens et relais grâce à des outils numériques développés pour atténuer les risques représentés par un volume de données sans précédent.

Viginium est un service technique et opérationnel à compétence nationale chargé de la veille et de la protection du pays contre les ingérences numériques étrangères. Créé en juillet 2021, il est responsable de la protection du débat public contre les campagnes de manipulation de l’information numérique provenant d’acteurs étrangers désireux de nuire à la France et à ses intérêts. Ce n’est pas un service de renseignement, mais il recherche activement des situations et des comportements anormaux dans le débat démocratique classique afin de pouvoir caractériser cette activité. Cette caractérisation se fait légalement et techniquement au moyen des sources ouvertes. Trois défis sont à prendre en compte : le défi juridique – Viginum doit travailler dans un cadre respectueux des questions liées à la liberté d’expression –, un problème de ressources humaines car cette nouvelle structure encore en développement se doit d’attirer des compétences spécifiques, et des enjeux opérationnels à un moment où la France sortait tout juste de plusieurs campagnes électorales. Là encore, le caractère collectif de l’effort a été souligné avec une référence particulière au secteur privé.

Un point sur la désinformation autour du conflit en Ukraine a conclu les présentations.

Deux sessions de travail en groupe ont par ailleurs permis aux participants d’échanger sur différents sujets, tels la protection nationale contre les ingérences numériques étatiques extérieures, les outils contre la propagande anti-européenne en dehors de l’Europe et l’innovation technologique des entreprises au profit de la guerre de l’information. Au cours de ces séances de travail en groupe, les participants ont pu faire le point sur ce qu’ils ont entendu pendant le séminaire et échanger sur la base de leur propre expérience professionnelle. Dans l’ensemble, cette session de formation continue à destination des cadres des services membres du Collège a confirmé à quel point la question de la lutte contre la manipulation de l’information est cruciale dans nos démocraties et la France est convaincue que ce n’est pas la dernière fois que ce sujet sera traité dans le cadre du Collège du Renseignement en Europe.

Message de l’Ambassadrice Elisabetta Belloni, à l’occasion de la Présidence italienne du Collège

1 mars 2023

A l’occasion du lancement de la Présidence italienne du Collège du Renseignement en Europe (février 2022 – janvier 2023), l’ambassadrice Elisabetta Belloni, directrice générale du DIS (Dipartimento delle Informazioni per la Sicurezza – Département de l’information pour la sécurité), présente cette nouvelle présidence.

Le succès du Collège du Renseignement en Europe est un fait. Il est le résultat de la capacité dont le Collège a fait preuve pour s’adapter aux circonstances changeantes au cours des premières années depuis sa création, dans une période très difficile pour nous tous. Ce fut un effort collectif, dépendant de l’engagement de tous les membres du Collège et, en particulier, des deux présidences qui nous ont précédés. C’est pourquoi je voudrais remercier de tout cœur les Présidences croate et britannique pour leurs efforts admirables grâce auxquels l’Italie se voit confier une tâche louable qu’elle poursuivra avec honneur et engagement.

Nous consacrerons toute notre énergie à faire en sorte que le Collège puisse encore évoluer au profit de tous les pays Membres. La Présidence italienne sera ainsi caractérisée par le pragmatisme : notre objectif est de capitaliser sur les résultats obtenus jusqu’à présent et de jeter de nouvelles bases qui feront que ce que nous construirons sera solide et inattaquable.

La majeure partie de notre programme sera axée sur la Sensibilisation, l’un des piliers du Collège. Notre plus grand engagement sera de promouvoir les activités qui contribuent à élaborer une prise de conscience commune sur les questions de sécurité, tant parmi les universitaires que dans la société civile, et en particulier parmi les jeunes générations. Le Collège, qui puise ses racines dans de nombreux pays européens, peut et doit faire bouger les lignes en stimulant le nécessaire dialogue stratégique entre les communautés du renseignement, le monde universitaire et la société civile.

L’esprit du Collège est façonné par les communautés du renseignement qui ont choisi de se rassembler pour construire quelque chose de plus grand. C’est ce que nous devons toujours garder à l’esprit : les synergies et la collaboration nous rendent bien plus forts que nous ne pourrions jamais l’être individuellement. C’est la ligne directrice de notre présidence. C’est la raison pour laquelle nous travaillerons ensemble pour mettre ensynergie nos efforts conjoints et contribuer ainsi à la construction d’une Europe plus sûre. Ce résultat ne pourra être atteint que grâce à une culture de sécurité commune.

Ambassadrice Elisabetta Belloni