Menace russe –perspective à 10 ans

Le Service de sécurité et de renseignement tchèque (BRI) a organisé un séminaire thématique sur « La menace russe –perspective à 10 ans » qui s’est tenu à Prague du 23 au 25 mai 2023.

Ce séminaire de deux jours était divisé en quatre blocs. Le premier portait sur la menace que représente la Russie pour la sécurité de l’Europe centrale et des pays occidentaux en général dans 10 ans, le second sur l’avenir des relations de la Russie avec le reste du monde, à savoir la Chine et les pays africains. Le troisième traitait de la question de l’énergie et de son utilisation comme arme par la Russie (toujours dans une perspective décennale). Le dernier bloc comprenait plusieurs brèves présentations des services de sécurité tchèques et d’autres institutions publiques sur le thème principal du séminaire.

Dans les années à venir, la Russie restera une menace pour la sécurité de l’Occident, principalement en raison de la nature même du régime russe. Pour comprendre la position de la Russie et la motivation de ses dirigeants, la proximité culturelle ou la dimension économique font partie des catégories les moins pertinentes. Pour les Russes, en effet, leur pays est le plus grand, il est unique en son genre et victorieux. Ils estiment que le rôle de la Russie dans l’histoire européenne et mondiale est exceptionnel. La source de ce sentiment de singularité est l’idéologie, reflétée et renforcée par l’immensité et l’isolement du territoire russe.

La Russie n’a jamais pris au sérieux la vision libérale selon laquelle l’interdépendance adoucit la concurrence et renforce la confiance, et où les relations économiques sont plus importantes que les priorités de puissance. L’objectif principal des élites russes est de maintenir un pouvoir illimité en Russie et une influence maximale possible dans le monde. Poutine a construit un régime néo-soviétique et il est peu probable qu’il y ait un changement radical dans cette trajectoire de développement, qu’il reste ou non au pouvoir.

On peut s’attendre à ce que de nouveaux développements, des efforts diplomatiques et la promotion de l’attractivité économique fassent partie d’un plan stratégique commun sino-russe pour les années à venir. Le prochain sommet Xi-Poutine, qui se tiendra probablement à Pékin à l’automne, s’annonce comme une référence intéressante en ce qui concerne l’évolution et des événements à venir en termes de réalignement mondial.

La Russie et la Chine partagent des intérêts nationaux et internationaux. Dans la Déclaration conjointe de la Fédération de Russie et de la République Populaire de Chine sur les Relations Internationales Entrant dans une Nouvelle Ère et le Développement Durable Mondial (4 février 2022), la Russie et la Chine ont déclaré une « amitié sans limites » et ont rejeté l’universalisme des systèmes et des valeurs politiques. De leur point de vue, certains États tentent d’imposer leurs propres « normes démocratiques » à d’autres pays. La Russie et la Chine sont d’accord pour dire que « La défense de la démocratie et des droits de l’homme ne doit pas être utilisée pour faire pression sur d’autres pays. Aucun pays n’est supérieur aux autres, aucun modèle de gouvernance n’est universel et aucun pays ne devrait dicter l’ordre international à lui seul ». La Russie et la Chine prônent un « ordre mondial véritablement multilatéral » et « une plus grande démocratie dans les relations internationales ». Ces pays ont affirmé une amitié sans domaines de coopération « interdits » et se perçoivent comme des « puissances mondiales responsables ».

La présence russe en Afrique va s’affaiblir dans les années à venir et se limitera aux régions en proie à des conflits. À mesure que les dirigeants africains vieilliront, la Russie va perdre ses liens historiques avec leurs pays et rivalisera avec la Chine en matière d’influence dans la région.

L’économie russe est faible et en déclin. Au moment de l’effondrement de l’Union soviétique, sa part dans l’économie mondiale était à peu près la même que celle de la Chine. En 2020, la part de la Chine dans l’économie mondiale était de 17,5 %, tandis que celle de la Russie était d’environ 1,78 % et elle devrait continuer de décroitre chaque année au cours de la décennie suivante.

L’économie russe repose sur les ressources naturelles et sa structure est sous-développée. En 2021, les combustibles et l’énergie représentaient 53,8 % des revenus d’exportation de la Russie, les métaux et produits métalliques 11,2 %. Par le passé, la Russie a déclaré à plusieurs reprises qu’elle diversifierait son économie et développerait son secteur technologique, mais elle n’y est jamais parvenue et il est peu probable qu’elle y parvienne dans un avenir proche.

La Russie a tiré les leçons des sanctions occidentales qui lui ont été imposées après son annexion de la Crimée. Entre 2014 et 2022, le pays s’est préparé aux effets des sanctions potentielles en développant l’autosuffisance en matière d’approvisionnement en produits alimentaires de base, en restructurant ses réserves officielles, en réduisant la dépendance du financement de la dette publique à l’égard des investisseurs étrangers, en rendant difficile le départ des entreprises étrangères de Russie, etc. Pour toutes ces raisons, auxquelles s’ajoute le contournement généralisé des sanctions, les sanctions actuelles contre la Russie n’ont, jusqu’à présent, pas affecté l’économie russe autant qu’espéré.

L’impact estimé des sanctions occidentales sur le PIB de la Russie, basé sur des comparaisons des prévisions de croissance du PIB russe avant et après l’invasion de l’Ukraine, suggère que le PIB réel du pays en 2022 était inférieur de 7 à 10 % à ce qu’il aurait été si les sanctions n’avaient pas été appliquées après l’invasion. Cette réduction de la croissance du PIB devrait se poursuivre en 2023 et début 2024.

Au fil du temps, la Russie continuera probablement de développer des modèles commerciaux alternatifs qui atténueront tout impact futur des sanctions, principalement par le biais de réexportations vers des pays tiers – certaines via la Chine, la plupart via la Turquie et les pays d’Asie centrale, mais aussi les Émirats Arabes Unis, l’Arménie et la Géorgie. Ces pays profitent de la guerre et des sanctions imposées à la Russie ainsi que de la fuite des capitaux russes hors du pays. Alors que l’économie russe se contracte, leurs économies devraient connaître une croissance moyenne d’environ 5 %. Environ 15 500 entreprises russes sont actuellement enregistrées au Kazakhstan, soit une augmentation de 100 % par rapport à l’année dernière. L’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan et le Kirghizistan sont dans une union douanière avec la Russie et, de l’autre côté, la Turquie est dans une union douanière avec l’UE.

En ce qui concerne l’armée russe, la Russie a subi d’énormes pertes et n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés après son invasion de l’Ukraine (en février 2022). Les principales raisons étaient à la fois opérationnelles (soldats en trop faible nombre, mauvaises planification et hypothèses, logistique difficile sur le vaste territoire ukrainien) et structurelles (soldats avec une formation et des capacités limitées, réticence à recourir aux conscrits et à mobiliser, corruption et dépenses militaires inefficaces). Dans le conflit, la Russie a brûlé une partie de ses dépôts militaires et a subi d’énormes pertes humaines. Si la Russie améliore sa production d’armes, elle pourra rééquiper ses unités d’ici 2028-2030. Le réapprovisionnement en personnel peut être rapide en termes d’effectifs ; cependant, en termes de qualité, le réapprovisionnement durera peut-être une décennie.

Du point de vue des États-Unis (ou du Royaume-Uni et de certains autres pays d’Europe occidentale), il existe une relation linéaire entre l’affaiblissement de la Russie et la menace qu’elle représente pour eux. Pour les PECO (Pays d’Europe centrale et orientale), la situation est plus compliquée : le pilier central de leur sécurité est la présence américaine sur le continent. Si les États-Unis décident de se retirer (par exemple parce que la Russie ne constitue plus une menace crédible), leur situation en matière de sécurité pourrait être pire qu’avant la guerre.

Nous pensons que l’événement a été enrichissant tant pour les représentants des services de renseignement que pour les représentants du monde académique.