Séminaire du Collège du Renseignement en Europe sur le renseignement en source ouverte (OSINT)

Du 1er au 3 mars 2023, la France a accueilli à Paris un séminaire du Collège du Renseignement en Europe sur le renseignement en source ouverte (OSINT). Lors de cet évènement, les six principaux services de la communauté française du renseignement, des universitaires, des institutionnels issus de l’Union européenne et des représentants de différents services européens ont pu échanger et partager leurs préoccupations face aux enjeux de l’OSINT et ses perspectives d’évolution.

Même si l’OSINT reste difficile à définir de façon homogène en Europe et dans le monde, plusieurs consensus ont émergé au travers des présentations. L’OSINF (Open Source Information), qui comprend les bases de données commerciales ou disponibles en open data, est accessible à tout le monde, que ce soit pour la recherche ou la veille. L’objectif de l’OSINF est de mettre en place une base de connaissances. À la différence, l’OSINT est une discipline plus ciblée. Il s’agit de renseignement concret et actionnable, recueilli sur des cibles précises, avec des techniques complexes allant du criblage à la désanonymisation. C’est la finalité de la collecte qui fait la différente entre l’OSINF et l’OSINT.

La guerre en Ukraine a accéléré grandement la prise de conscience de la profusion et de la disposition des données OSINT, tant en termes de quantité que de nature. Concrètement, on distingue quatre grands types de données OSINT : données de contenu (audio, vidéo, texte), d’informations (sélecteurs), d’interactions (liens) et de quantité.

Cette masse d’information suppose la mise au point d’outils mais aussi la professionnalisation des Osinters. En effet, une stratégie d’automatisation est nécessaire mais pas suffisante car une analyse critique du résultat obtenu demeure indispensable. L’analyse finale reste clé, l’intelligence artificielle, si elle facilite grandement l’analyse de jeux de données, ne peut détecter des nuances fines telles que le sarcasme et l’ironie, qui sont quasiment impossibles à intégrer dans un algorithme. C’est là qu’intervient le facteur humain dans l’OSINT.

La formation d’Osinters est le principal enjeu contemporain. L’OSINT est devenu un métier à part entière, voire plusieurs métiers. Il leur reste à trouver leur place dans le monde du renseignement où l’Humint apparait toujours comme le domaine « noble ». Cette place ne saura être obtenue qu’avec un véritable dialogue entre l’Osinter et l’expert (géographique ou thématique). L’analyste et l’Osinter doivent donc travailler de façon resserrée. Les uns doivent pouvoir faire le travail des autres (toutes proportions gardées) pour que les analystes soumettent des requêtes qui correspondent aux moyens dont disposent les Osinters. Et à l’inverse, il faut que les Osinters puissent repérer une information pertinente, même si elle ne leur a pas été demandée. L’OSINT est donc un défi aussi technique qu’humain qui suppose des formations et des investissements conséquents.

La professionnalisation de l’OSINT n’intervient pas que dans le renseignement et le domaine militaire. Elle est aujourd’hui le fait de journalistes et aussi du monde judiciaire, ce qui ouvre un nouveau champ de questionnements quant à l’utilisation de l’OSINT (en cas de crime de guerre par exemple).

Le fondateur de l’ONG Openfacto (créée en 2019) a développé ce concept de journalisme citoyen s’appuyant sur l’OSINT. Il en a rappelé les contraintes : risque de manipulation, importances des structures anglophones, manques de moyens quand on veut garder sa liberté éditoriale, absence de protection juridique… Une partie de ces contraintes peuvent être compensées par l’association avec des consortiums de journalistes qui eux, ont des moyens, des avocats et des capacités de traduction.

À l’avenir, l’accès aux informations représente un nouvel enjeu. Les vannes des flux de données sont en train de se fermer. Twitter, Meta, Instagram adoptent des politiques qui vont rendre l’accès aux données plus difficile. Le phénomène de Splinternet – régionalisation de l’internet – accentue cette tendance. L’accès restera possible mais va devenir payant. L’OSINT est aussi une matière première, il a une valeur qui génère une économie de revente la plupart du temps sur un marché clandestin. 90 % de l’information est issue de source publique. L’OSINT vient compléter et parfois remplacer le renseignement « classique » quand celui-ci devient trop coûteux ou trop dangereux à obtenir. Les techniques très utilisées à un moment donné peuvent ne plus l’être quelques semaines plus tard, à cause notamment de la mise en place progressive de patchs correctifs sur des failles de sécurité. Ainsi, les Osinters doivent s’adapter en permanence à l’évolution technique pour continuer à exercer efficacement.

Parmi les défis à relever, celui de la sémantique est important car il est sous-jacent au principe du machine learning. Les technologies d’intelligence artificielle, de deepfake et ChatGPT vont rendre le travail de plus en plus difficile de par leurs conséquences sur la manipulation de l’information. Les risques associés à l’OSINT sont aussi éthiques et il convient d’y être attentif en gardant à l’esprit les intérêts servis. L’OSINT étant un espace de diffusion d’information, il est également un espace d’influence. Le conflit en Ukraine et l’usage de l’OSINT dans ce cadre ont entrainé un changement d’échelle. L’OSINT est devenu un outil utilisé en soutien à des opérations d’influence dans la guerre. Les forces en présence s’appuient sur des communautés d’Osinters ce qui leur permet un gain de temps et d’argent. Confirmée et fiabilisée, l’OSINT est une source comme une autre de renseignement. C’est aussi potentiellement une arme de propagande, d’influence et de manipulation.