Anticipation par le renseignement, Séminaire à Vienne

(Adrian Părăluţă, Daniel Markic, Sascha Bosezky, Omar Haijawi-Pirchner, François Fischer)
Adrian Părăluţă, Daniel Markic, Sascha Bosezky, Omar Haijawi-Pirchner, François Fischer

La détection précoce des menaces et des crises est essentielle pour la sécurité de l’Europe. Les mesures permettant de contrer les menaces et répondre aux crises nécessitent non seulement les bons instruments, mais aussi et surtout une chose : du temps. Une anticipation systématique, basée sur une méthodologie et orientée vers des objectifs, soutient les décideurs politiques, militaires et ceux en charge du maintien de l’ordre en leur laissant le temps de la prise de décision. Les services de renseignement sont des acteurs importants de l’anticipation stratégique, mais ils ne sont pas les seuls. Les instituts de recherche scientifique, les think-tanks et les futurologues contribuent de manière significative à différents niveaux.

Au regard de la numérisation mondiale et de la nécessité de traiter des quantités toujours plus importantes de données pour générer une image de la situation, le développement technologique joue également un rôle important. L’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle deviennent des instruments d’anticipation stratégique toujours plus importants. Méthodologiquement, la conférence a été conçue sous forme de présentations, de tables rondes et de groupes de travail permettant l’implication la plus large possible des participants.

La Secrétaire d’État Elisabetta Belloni, Coordinatrice des services de renseignement italiens, a prononcé le discours d’ouverture en sa qualité de Présidente actuelle du Collège. Le futurologue géopolitique de renommée internationale et fondateur de Stratfor et Geopolitical Futures, George Friedman, a abordé les principes et les modèles de développements géostratégiques et de leur anticipation.

Les trois piliers suivants ont été discutés :

I. Que peut et que doit savoir le décideur politique, et que fait l’anticipation du renseignement dans le processus de prise de décision ?

Sir David Omand, longtemps Directeur du GCHQ et conseiller des plus hauts responsables gouvernementaux du Royaume-Uni, a présenté la relation complexe entre l’anticipation du renseignement et les décideurs politiques. Le général de division Thomas Starlinger, ancien ministre fédéral de la Défense et aujourd’hui conseiller militaire du Président de la République d’Autriche, a évoqué l’importance de l’anticipation du renseignement pour les décideurs politiques au niveau national. Guillem Riutord Sampol, Chef de la Division Approche intégrée pour la sécurité et la paix, Service d’action extérieure de l’UE, a évoqué les spécificités de l’anticipation, de l’alerte précoce et de la communication stratégique pour la prise de décision en matière de sécurité dans un environnement multinational. Florence Gaub, Directrice-Adjointe de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, est l’auteur principal de plusieurs études prospectives menées dans l’Union européenne. Elle a évoqué le périmètre et les limites de l’engagement scientifique en matière de prospective ainsi que de sa pertinence pour les décideurs.

A l’occasion d’une table-ronde interactive animée par l’organisateur, la question a été posée aux intervenants de savoir comment rendre plus efficace le champ des relations entre décideurs et acteurs de l’anticipation stratégique (services de renseignement et think-tanks) et comment l’interaction de ces derniers peut être optimisée.

II. Que peut-on et ne peut-on pas attendre de l’anticipation en renseignement ?

Melissa Graves, professeur d’études sur le renseignement à la Citadel Military School (États-Unis) a abordé la dimension méthodologique de l’analyse du renseignement et son importance pour l’anticipation stratégique. L’ancien Directeur adjoint du renseignement à la DGSE, Philippe Hayez, enseigne la politique en matière de renseignement à Sciences-Po Paris. Dans sa présentation, il a abordé la question de la portée et des limites de l’anticipation du renseignement ainsi que des attentes réalistes des décideurs. Achim Werres, Général de brigade et Chef de division du renseignement militaire au ministère fédéral de la Défense à Berlin. Il a évoqué l’alerte et la détection précoces des crises dans les forces armées allemandes et son intégration multinationale.

Dans le cadre d’une session de travail en quatre petits groupes, les participants ont discuté les questions suivantes :

  • Renseignement et décideurs : « pousser » ou « tirer » –  Qui sait ce que le décideur doit savoir ? [Présidé par José Morgado, Directeur du Centre de situation et du renseignement de l’Union européenne, Bruxelles]
  • Échec de l’anticipation : quelles sont les raisons expliquant la non-détection de menaces, du Rwanda, au 11 septembre et au-delà ? [Présidé par Radoslaw Jezewski, général de brigade, Chef de la Direction du renseignement de l’EMUE, Bruxelles]
  • Renseignement et science : une symbiose peut-elle se mettre en place entre les services de renseignement et les think-tanks, ou simplement la concurrence ? [Présidé par Marco Marzi, chargé de mission, Système d’alerte précoce et prévention des conflits de l’UE, Bruxelles]
  • Faux renseignement : Anticipation du renseignement à l’heure des fake news et de la désinformation ? [Présidé par Rubén Arcos, Universidad Rey Juan Carlos, Madrid]

III. Quel rôle la méthodologie et la technologie jouent-elles dans l’anticipation des menaces et des défis, actuels et futurs ?

Helmut Leopold, Directeur du Centre pour la sûreté et la sécurité numériques de l’Institut autrichien de technologie, a publié entre autres sur le thème de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle. Il est intervenu sur la question des possibilités et des limites de l’IA comme moyen d’anticipation assistée par l’informatique. Wolfgang Schneider d’IBM Consulting occupe une position de leader dans le développement de systèmes informatiques pour la détection précoce des développements de crise. Il a parlé de son expérience dans ce domaine ainsi que du potentiel de développement et des limites de cette technologie. Christina Corbane du Centre commun de recherche de la Commission européenne (DG JRC/Ispra) et Anja Palm du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ont présenté conjointement le modèle d’anticipation des conflits violents développé par le CCR et appliqué au sein du SEAE. Emily Munro est responsable de l’anticipation stratégique au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP). Elle dirige entre autres des cours de prospective stratégique au GCSP qui abordent l’esprit, les processus & méthodes de l’anticipation stratégique, ainsi que l’intégration de la prospective. Elle a parlé des attitudes et des méthodes qualitatives d’alerte précoce stratégique. Ce panel s’est conclu par une table-ronde dirigée regroupant l’ensemble des intervenants. Ces derniers ont exploré la question de savoir si le conflit scientifique traditionnel entre méthodes qualitatives et quantitatives de recherche en sciences sociales se retrouvait également dans le champ de l’anticipation stratégique et pouvait également, si besoin, être étendu pour intégrer la dimension technologique.

Adrian Părăluţă, Chef de la Direction de l’analyse stratégique du Service roumain de renseignement, a introduit le panel final avec une présentation sur l’analyse prospective, appliquée à des organisations réactives devant devenir des organisations proactives.

Lors de la table ronde concluant ce séminaire, le général de division Sascha Bosezky, Chef de l’Agence autrichienne de renseignement stratégique, Adrian Părăluţă, Daniel Markić, chef de l’Agence d’information de la sécurité croate, Omar Haijawi-Pirchner, Chef de la Direction Protection de l’État et service de renseignement autrichien, et François Fischer, Directeur du Secrétariat permanent du Collège du Renseignement en Europe, ont échangé leurs vues sur les implications possibles pour la communauté européenne du renseignement.